Imaginez un scientifique du futur. Moins penché sur un microscope que sur un écran, il n’est plus seulement biologiste, chimiste ou physicien. Il est aussi un peu chef d’orchestre, dirigeant une armée de robots qui réalisent des milliers d’expériences à sa place. Cette vision n’est plus de la science-fiction. C’est la réalité émergente des “laboratoires autonomes” (ou Self-Driving Labs), une discipline où l’intelligence artificielle et la robotique fusionnent pour accélérer la découverte scientifique à un rythme jamais vu.
Le duo parfait : l’IA comme cerveau, la robotique comme mains
La recherche traditionnelle est un processus lent, itératif et coûteux. Un chercheur formule une hypothèse, passe des jours ou des semaines à la tester en laboratoire, analyse les résultats, puis recommence. Le goulot d’étranglement est presque toujours l’expérimentation physique.
C’est là que la magie opère. Dans un laboratoire autonome :
- L’IA (le cerveau) analyse les données existantes pour modéliser un problème complexe (ex: trouver une nouvelle molécule pour un médicament). Elle génère ensuite des centaines d’hypothèses prometteuses, bien au-delà de ce qu’un humain pourrait imaginer.
- La robotique (les mains) prend le relais. Des bras robotiques et des plateformes automatisées synthétisent les molécules, effectuent les tests biologiques ou mesurent les propriétés des matériaux suggérés par l’IA, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
- Les résultats sont immédiatement renvoyés à l’IA, qui affine ses modèles et décide de la prochaine série d’expériences.
Ce cycle vertueux peut réduire des années de recherche à quelques semaines.
Des pionniers nommés Adam et Eve aux leaders d’aujourd’hui
Cette idée n’est pas entièrement nouvelle. Dès les années 2000, les “scientifiques robots” Adam et Eve de l’Université de Cambridge ont prouvé que le concept était viable. Adam a été le premier système à découvrir de manière totalement autonome de nouvelles connaissances scientifiques sur la génomique.
Aujourd’hui, cette approche a atteint sa maturité. Le “A-Lab” de l’Université de Toronto, dirigé par le visionnaire Alán Aspuru-Guzik, est à la pointe de la découverte de nouveaux matériaux pour les cellules solaires et les batteries, contribuant directement à la lutte contre le changement climatique. Des institutions de renommée mondiale comme le MIT et le Berkeley Lab développent également leurs propres plateformes pour la chimie et la biologie.
La science en tant que service : la révolution commerciale
La plus grande transformation est peut-être l’accessibilité. Il n’est plus nécessaire de construire son propre laboratoire robotique à plusieurs millions de dollars.
Des entreprises comme Emerald Cloud Lab (ECL) et Strateos proposent des “laboratoires dans le cloud”. Un scientifique peut, depuis son ordinateur, écrire un script pour commander une série d’expériences. À des centaines de kilomètres de là, des robots s’activent pour exécuter le protocole et renvoyer les données brutes. C’est la science en tant que service (SaaS, Science-as-a-Service).
Cette industrialisation a donné naissance à des géants comme Recursion Pharmaceuticals. En combinant l’automatisation à très grande échelle et l’analyse d’images par IA, ils testent des millions de candidats-médicaments chaque semaine, et ont déjà plusieurs traitements en phase de développement clinique.
Quel avenir pour la découverte ?
Nous n’en sommes qu’au début. La complexité des expériences automatisées augmente, l’IA devient plus intelligente, et l’intégration entre les deux est de plus en plus fluide. Cette révolution promet des solutions plus rapides à certains des plus grands défis de notre époque, des pandémies aux énergies propres.
Le rôle du scientifique humain est également en pleine mutation. Moins technicien de paillasse, il devient un stratège, un superviseur de systèmes intelligents, se concentrant sur la question la plus importante : quel problème vaut la peine d’être résolu ?

